Éradiquer la corruption et les détournements ne fera pas décoller le développement, pour le cas de la RDC
Jo M. Sekimonyo
6/5/20259 min lire
Au milieu des bruits, des cris et du « djalelo » médiatique qui vrille les tympans, je rédige et publie obstinément des tribunes pour démanteler les mythes et sophismes auxquels tant de Congolais s’accrochent, souvent sans même en soupçonner la nature. Malgré la fatigue et la tristesse qui m’envahissent, et pour ne pas me laisser gagner par la crispation, je m’astreins chaque semaine à les classer, à affûter ma machette, puis décapiter en priorité les plus venimeuses.
J’aurais pu aborder de sujets de buzz comme le fait que le président de la république reste cantonné dans une partie de ce sous-continent tandis que son prédécesseur, devenu ennemi, s’est décidé de se retrancher dans l’autre morceau. Ou encore que Félix Tshisekedi s’apprête à sceller à Washington un pacte économique taché de sang congolais, légitimant en pratique le carnage piloté depuis Kigali pour préserver ses ambitions de croissance, en dépit des vidéos massives sur WhatsApp montrant des villages de Rutshuru récemment incendiés par le M23-RDF, bilan macabre à l’appui, un des épisodes tragiques qui se poursuivent au Nord-Kivu et au Sud-Kivu. Pourtant, à l’issue de cette analyse, vous devrez être en mesure de percevoir que ces événements convergent inexorablement vers le cœur du sujet.
D’entrée, je reste étonné de voir tant d’esprits congolais les plus aiguisés et agiles, au pays comme à l’étranger, brandir l’éradication de la corruption et des détournements comme priorité absolue, voire comme matrice fondatrice, de notre développement économique. Et donc, suivant une logique moelleuse, en neutralisant ces deux fléaux, la nation connaîtrait un essor économique et une transformation sociale positive. Sous d’autres cieux, cette causalité pourrait tenir ; en RDC, c’est une illusion gonflée par une certaine paresse cérébrale.
Genesis 3:3
Peu de pêcheurs jouissent de la légende qui entoure ceux des Chutes Wagenia. Comme beaucoup de leurs pairs ailleurs sous de cieux qui se fient plus à l’instinct qu’aux données scientifiques et, contrairement aux agriculteurs, s’inquiètent à peine de la pression qu’ils exercent sur la ressource ni du risque d’épuisement. On pourrait même déverser des barils toxiques dans le fleuve sans provoquer d’indignation de la part de Boyomais, tant la conviction collective d’une abondance infinie de poissons demeure inébranlable. La pêche, jugée plus facile parce qu’elle assure un repas immédiat, échappe ainsi aux aléas lents et capricieux qui régissent l’agriculture, tributaire du sol et du climat.
Les révélations récentes sur de présumés détournements de 19 millions USD soustraits aux 39 millions destinés à la future prison de Kisangani, plus de 30 millions disparus d’un fonds de reboisement, et 670 millions évaporés sous l’Autorité de régulation de la sous‑traitance révèlent, au‑delà d’une prédation à ciel ouvert, l’indécente cascade de mannes financières. Plus surprenant encore, malgré ce carnaval de détournements, aucun programme social n’a été gelé, preuve qu’en RDC se déplacent, sans cap ni contrôle, des sommes colossales.
Ironiquement, alors que les Congolais peinent à gouter des conditions de vie décentes, la RDC est l’un des rares pays où les bailleurs, qu’ils octroient dons ou prêts, se retrouvent relégués au rôle de contrôleurs de trajectoire, prescrivent usage et procédures. Et ça, c’est la version bienveillante. Côté chinois, on livre les dollars en service « drive‑in », ils ferment les yeux et leur humanisme sur le pillage et le gaspillage tant que leurs intérêts sont servis. Pour des institutions comme la Banque mondiale ou le FMI, les responsables publics, du plus modeste au plus haut, paraissent tout le temps ignorer les besoins collectifs et laisse laissent planer le doute qu’ils orientent d’abord les fonds vers leurs propres caprices. De ce fait, le deal qui se concocte à Washington au nom de la paix dont personne ne connaît les demandes congolaises, fait grincer les dents.
Déjà, le budget national est taillé surtout pour garantir le confort d’institutions pléthoriques pendant des piles d’études dorment dans les tiroirs, on préfère lancer de nouveaux « projets » pour justifier la dépense plutôt que de consolider les existants. Cette mécanique ne date pas d’hier : elle fonctionne ainsi depuis l’indépendance. De même, l’afflux continu d’argent, qu’il provienne des recettes tel que minières ou de l’aide extérieure, n’est pas, en soi, le moteur de la corruption et détournements ; il ne fait qu’amplifier la tentation et masquer le risque d’épuisement des ressources.
Le roi de la forêt
Un parti politique, dans son acception classique, est un instrument de médiation entre une vision idéologique et l’action publique. Les partis politiques se distinguent par une doctrine de gouvernance claire, autrement dit une méthode de gouvernement conçue pour améliorer les conditions de vie des citoyens et soumise au jugement de l’électorat. Leur légitimité repose donc sur la cohérence de leurs politiques, la transparence de leur financement et la redevabilité envers les citoyens.
En transposant la logique des lois les plus efficaces conçurent pour poursuivre les organisations criminelles structurées, aux formations dites « politiques » en RDC, celles‑ci apparaissent moins comme des partis programmatiques que comme des syndicats criminels accrédités. Elles présentent en effet les caractéristiques cibles tels qu’une hiérarchie stable, continuité d’activité illicite, détournement de fonds publics, octroi frauduleux de marchés, extorsion fiscale, et instrumentalisation de l’appareil d’État à des fins privées. Le label « parti » sert alors de parapluie légal pour accéder aux ressources publiques, puis les redistribuer à l’intérieur d’un réseau de clientèles.
Le parrain politique, soi-disant « autorité morale », assure ou offre des garanties crédibles d’accès à la mangeoire publique ; ses affidés exécutent les ordres en échange d’une mise en commun de capitaux illicites ou d’une part du butin ou d’une part du butin, parfaitement prévisible. Entre le régime et ses affiliés, d’une part, et les clans se prétendant opposants, d’autre part, l’enjeu n’est pas la confrontation de programmes, mais la survie d’un système de prédation où l’État se transforme en principal pourvoyeur de revenus privés. Ce pacte s’incarne dans la loyauté inconditionnelle gravitant autour de figures telles que Moïse Katumbi ou Bahati Lukwebo. Comment expliquer que quelqu’un sans bilan comme chef du gouvernement se retrouve « nommé » à la présidence du Sénat, si ce n’est parce qu’il fait preuve de loyauté envers le chef de l’État qui l’a décidé ? Quant à la guerre à l’Est et ailleurs, elle se résume à des luttes de territoires mortelles, de véritables guerres de gangs, dont l’objet est moins l’idéologie que la conquête et la sécurisation de l’illusion d’opulence.
Cette configuration, où l’appareil politique fonctionne comme une organisation mafieuse, la loyauté au chef l’emporte sur toute idéologie, et l’accès au pouvoir se transmet par lignage ou cooptation plutôt que par une élection interne transparente, démontre clairement qu’il n’existe pas de parti politique en RDC. Cette triste réalité, dans un pays où l’État lui-même devient la banque privée de quelques-uns, alimente et entretient la corruption et les détournements à grande échelle.
Le dôme de fer
On accuse le pouvoir actuel de sélectionner arbitrairement des « affaires à instruire ». Certains cas éclatent en plein jour, souvent pour neutraliser des alliés jugés trop indépendants ou saper l’autorité d’opposants jugés trop influents. L’épisode Vital Kamerhe et le dossier Matata Ponyo livrent un message clair à quiconque défie le nouveau clan au pouvoir avec trop d’audace. Quant à Joseph Kabila, sa mise en examen semble imminente, mais les ajustements des cordes musicales en coulisses la retardent. Cela lui permet de jouer la montre et d’amplifier le chantage, au risque d’exacerber le bain de sang déjà en cours à l’Est.
En matière de corruption, de détournements et de transparence, ou ou devrais-je dire de l’absurdité abyssale de notre politique économique nationale, la répression des lanceurs d’alerte représente l’aspect le plus insidieux du bouclier protégeant les systèmes de pillage. Les dénonciateurs sont essentiels car ils dévoilent malversations et négligences avant qu’elles ne gangrènent l’État. Chaque régime, à son arrivée, a rapidement établi ses propres défenses pour « vacciner » la nation contre ceux qu’il considère comme des gâteurs de fête. Aujourd’hui, on finasse autour de la notion trompeuse de « faux bruits », tout proche qui en sait trop change d’avis, même sans âme ni conscience, ou par orgeuil et parle trop s’expose à être accusé de désinformation, muselé, voire invité à découvrir la décoration de cellules de Prison centrale de Makala. Jean-Marc Kabund en a payé le prix, et plusieurs observateurs redoutent que Nicolas Kazadi ne soit le prochain sur la liste noire des indiscrets.
Bien que l’autocensure puisse gagner du terrain au sein du pouvoir et chez de nombreux Congolais, accroc de télénovelas politiques, les révélations publiques ne disparaîtront jamais totalement. Le sentiment d’impunité alimente l’engrenage de la corruption et des détournements de fonds publics. Et si le pouvoir central s’appuie sur la peur plutôt que sur la légitimité, la société civile s’en trouve fragilisée. Cette approche ne pourra qu’asphyxier le peu de confiance qui subsistait entre gouvernants et gouvernés, creusant encore davantage le fossé entre l’État et la population.
Chacun pour soi, le diable pour tous ?
Je me demande toujours comment des adultes ont jugé judicieux qu’après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila de confier les rênes d’un pays à un « gamin » dépourvu des fondamentaux moderne de gouvernance et de toute vision claire à cette époque, et comme le démontrent encore les faits d’aujourd’hui. Peu importe qu’il soit fils de Laurent-Désiré Kabila ou non, quel triste constat d’imaginer qu’il était vraiment le meilleur choix parmi tous ceux qui étaient présents.
Ce n’est pas une nouveauté, dès l’indépendance nous avons hérité d’un théâtre d’ombres où se succèdent des fauves et jongleurs politiques sans jamais un vrai contrat social. De Joseph Kasa-Vubu à Mobutu Sese Seko, de Laurent Kabila à Joseph Kabila puis à Félix Tshisekedi, chacun a accédé à la présidence sans que la nation prenne le temps de définir ses priorités essentielles. Nos chefs d’État se sont succédé comme dans un relais de pouvoir brutal au lieu d’apporter une feuille de route cohérente pour le pays.
En fait, chaque président pourrait respecter un accord transparent détaillant droits et devoirs, mais tant que les objectifs de développement sont laissés au hasard ou à la prière, ce qui lui permet d’improviser un bricolage financier avec l’argent coule à flot comme par un robinet percé. Dans ce contexte, corruption, détournements, gaspillages inouïs de ressources, et même pertes en vies humaines, à l’image de ce qui se passe actuellement à l’Est, resteront la norme, à tout instant ou à des degrés divers, tant que nous persisterons à confier notre avenir à des gouvernants sans vérifier s’ils disposent d’une boussole orientée vers l’intérêt général, perpétuant ainsi les cycles d’incompréhension et de désillusion.
Même si la RDC n’était plus marquée par la corruption ni les détournements, dans un écosystème politique où subsistent des syndicats criminels déguisés en partis politiques, un système semi-présidentiel et des élections par listes ou indirectes, et où l’argent converge de toute la RDC vers la République de la Gombe, les gaspillages de ressources s’intensifieraient à travers des schémas tels qu’une surfacturation généralisée, un gonflement des jetons de présence ou des mécanismes plus créatifs comme la rétro-commission ; inévitablement, cela entraînerait des pertes en opportunités économiques et en vies humaines.
Au fond, tout dépend d’un véritable contrat social ancré dans une stratégie de politique économique moderne, conçue selon nos propres termes et épices pour briser les chaînes d’une humiliation économique séculaire qu’il nous revient, à nous « le peuple », d’élaborer avec un ton qui privilégie de faire du Congolais « ÊTRE » solution, au lieu de la RDC « PAYS » solution, et de le faire respecter. Jusqu’à présent, nous ne l’avons pas fait ; ou plutôt nous ne nous en avons pas donné la peine, par crainte de nous fermer nous-mêmes ou un très proche l’accès à la mangeoire, même si les perspectives restent floues.
D’une certaine manière, étant donné que l’idée même de réviser la constitution fait trembler les gens et, avec 2028 qui approche à grands pas, il est temps de réfléchir à une loi électorale adaptée à la démocratie que nous avons choisie. Pour y parvenir, il faut défaire les bandages et les rustines imposés par Joseph Kabila, en revenant à la majorité absolue pour l’élection présidentielle, en abandonnant le système de listes, en supprimant le dépôt de caution et en adaptant, à la place, le nombre de signatures nécessaires pour se porter candidat. Je suis sûr que je vous ai déjà vomi dessus plus d’une fois mes arguments économiques à ce sujet ; il suffit de faire une recherche en ligne pour redécouvrir tous les détails.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits des humains et écrivain